Lettre 79bis Christ-Roi 1937

Christ-Roi 1937.

Cher Confrère81,

Cher entre tous, que si je ne vous ai pas écrit c'est que je n'en avais besoin ni pour aviver en moi votre souvenir : il est toujours vivant, ni pour me rappeler au vôtre. Je sais combien vous pensez à nous. Pour moi, pour les autres, vous êtes toujours celui qui nous faisait rire... des rires si jeunes et si innocents.

Pas plus tard qu'un de ces jours nous avons veillé jusqu'à 10 ou 11 heures, assis à nous rappeler, à re­vivre, les "séances" de St-Oyen et du St-Bernard. Je vous souhaite de ne pas vieillir, mais d'amuser toujours afin que plus tard si jamais il nous est donné de revoir la "vieille maison" il nous soit aussi donné de revenir hommes auprès de vous. A quand ?!!

Mais aujourd'hui puisque j'écris écrivons parlons réalité. La dernière chronique - un vrai sphynx - avait une lueur. Vous nous affirmiez qu'il y avait des réserves.

Nous comptons beaucoup sur vous pour cela. Voyez plutôt : Latsa ouvert dans 2 ans, alors que les nouveaux ne sauront pas même assez la langue ; une grande école préparatoire au Petit séminaire (qui à mon idée si les renforts ne sont pas trop rares pourra devenir un Petit séminaire, ensuite un Grand aussi, un couvent de chanoines réguliers). Kitchra, importants revenus, résidence inoccupée et pour cette raison délabrée. Prendre pied dans les villages presse encore davantage parce que les Protestants deviennent de jour en jour plus dangereux. D'autre part, pour cette partie (je voudrais être plus clair mais je crains que ma lettre ne soit frauduleusement ouverte à quelques douanes), pour ce coin-ci de la terre il ne faut plus guère compter sur les M.É. de P.82 Vous voyez que si nous n'en prenons pas soin, elle ne donnera rien de bon, et toute la honte nous en reviendra.

Aidez-nous donc beaucoup; envoyez-nous beaucoup de missionnaires, mais envoyez-nous seulement de ceux qui ne se laissent ni encourager par le succès ni, surtout, décourager par l'insuccès.

Et maintenant, veuillez nous dire un peu ce que vous faites sur l'autre hémisphère. Nous n'y comprenons plus rien. Pourquoi M. le Père (Maître ?) a-t-il dû renoncer à la philosophie parce qu'il n'avait pas de novices ? ! ! Nous ne doutons pas de vos excellentes raisons, mais nous nous intéressons trop à vous pour ne pas les savoir. Écrivez-nous donc une lettre pleine de réalités. Nous l'attendons.

Et puis, cher Confrère, quand vous avez un "Memento" pas trop long, daignez l'allonger un peu pour moi. Je suis toujours un peu à votre charge. Il faut bien que vous me prépariez à la Ière Messe. Vous m'avez rendu heureux en m'aidant à venir ici ; rendez-moi bon, vous le pouvez.

Et moi, je vous assure de vous rester toujours très attaché [...]

Qui vous aime beaucoup

M. Tornay

 

81  Le correspondant est le chanoine Jules Jacquier, clavendier du Grand-Saint-Bernard. La lettre est écrite de Weisi sans doute, le 31 octobre 1937. 
82  Il s'agit des Missions Etrangères de Paris. C'est à l'initiative de leur supérieur, Mgr de Guébriand, qui avait vécu trente ans dans le Setchouan chinois, aux confins du Tibet, que l'on fit appel aux religieux du Grand-Saint-Bernard pour l'évangélisation de cette région.